Démocrates de tout le pays, unissez-vous sur ce média social !
Une réflexion d’Hugues Rondeau sur l’utilisation de Facebook par les élus français
Depuis quelque temps, je n’avais pas posté de commentaires sur mon profil Facebook ; je n’y suis du reste pas assidu puisque, ainsi que l’a dit récemment Martine Aubry, je le perçois telle une manifestation du nombrilisme et je me méfie de sa tare congénitale de réseau social trop ouvert, puisqu’il n’est pas possible d’y accueillir uniquement ceux que vous pensez être vos amis.
C’est bien ce côté attrape-tout qui séduit les politiques. Ils ont bien compris qu’être absent de Facebook signifie tourner le dos à la possibilité de diffuser ses idées, ses convictions, de faire passer un message. Justement, je me suis attaché en quelques heures à parcourir les pages qu’entretiennent mes collègues, qu’ils soient comme moi d’obscurs élus locaux, ou qu’ils affichent leur brillante carrière nationale. Ce côté racoleur prédomine. Il est amusant de noter que Facebook renvoie une image des politiques proprement angélique : altruisme et dévouement semblent, à travers les profils consultés, les piliers uniques des existences qui s’y déploient. Une conseillère générale court aux inaugurations ; un député se démène pour aider ses concitoyens en toutes circonstances et surtout à toute heure (il est quand même cocasse de trouver postées vers minuit quelques lignes ébahies et ébaudies après l’ouverture d’une nouvelle crèche !). La déléguée de circonscription UMP suit les célébrités du moment (pourvu qu’elles soient membres du gouvernement), et tous enchaînent unanimement leur amour de la République, de la patrie et du genre humain.
Pas une autocritique, pas un mouvement d’humeur, aucun ne s’attacherait à prendre des distances avec l’actualité ou soi-même. Je n’ai pas trop envie, à mon tour, de me poser en donneur de leçon (je suis très mal placé pour cela). Mais est-il concevable que, pendant une année de la vie d’un conseiller général, d’un maire ou d’un député (je n’ose prononcer le nom d’un membre du gouvernement), il n’y ait pas un instant de doute, de difficulté conjugale, familiale, professionnelle ? Est-il crédible d’apposer sur internet un portrait de soi-même qui soit aussi lénifiant ? J’use de ce terme de la période soviétique, car je crois qu’il est approprié pour caractériser le personnel politique français présent sur Facebook. En quelques clics, j’ai eu la nette impression de me retrouver près de 50 ans en arrière en U.R.S.S. Dans un kolkhoze, l’un brasse du blé, l’autre embrasse des komsomols (pour ceux qui sont un peu trop jeunes, il s’agissait des jeunesses communistes), celle-ci court avec le portrait d’un Staline moderne en espérant qu’elle réussira enfin son marathon stakhanoviste. N’est-ce-pas un peu grotesque ?
En période estivale, aucun n’affiche ses vacances. Personne (à part l’un d’eux qui se reconnaîtra, car il n’hésite pas à parler de son premier-né) ne s’inquiète que son aîné ait raté le BAC, que l’une de ses filles sorte un peu tard ou que les critiques acerbes de ses administrés l’aient laissé déprimé. Une espèce de glace sans tain semble séparer celles et ceux qui sont revêtus de l’écharpe tricolore et le reste de la nation surfant sur Facebook. Car c’est bien là que le bât blesse. Autant ces portraits d’élus esquissés sur le premier réseau social mondial jouent de l’insincérité dans la monotonie, autant les profils d’adolescents se révèlent, a contrario, crûment vrai. La plupart se complaisent en onomatopées sur leur dernier rendez-vous ou le film américain imbécile, ce blockbuster qui fait toujours fureur, qu’ils sont allés voir. Le français est malhabile, le propos parfois ridicule, mais l’ensemble paraît réellement sincère. Il est facile d’y noter des personnalités, des travers, des qualités. Chacun se sert de Facebook tel un instrument de convivialité, propre à combler leur ennui et à nouer des contacts. Me serait-il même possible, à cette occasion, d’évoquer nos amis d’Afrique qui voient un moyen d’échapper au carcan du regard nord-sud, marqué par la commisération, la pitié et l’appétit du gain ? J’ai trop de proches au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou en République démocratique du Congo, pour ne pas savoir que leurs mots sortent du cœur. Je n’en dirai pas tant de nos édiles. Pour revenir à un des exemples glanés : qui croirait un instant, qu’en plein mois de juillet, par 25 degrés, l’un d’entre eux s’est précipité de la mairie à la crèche, du foyer pour personnes âgées à la course cycliste amateur ?
Je ne nie pas que les exigences d’un carnet de rendez-vous serré oblige l’élu à un certain don d’ubiquité, mais penser qu’une semaine (7 jours sur 7 !) se résume ainsi n’a pas de sens. Ce monsieur, très fier de représenter son département et de siéger à l’Assemblée nationale, a sûrement aussi des moments d’hésitation. Il gagnerait en crédibilité à nous en faire part. A moins que Facebook ne se résume pour lui à une espèce de C.V amélioré vantant les mérites du candidat potentiel.
Récemment, je lisais sur le site internet Golias (pas trop ma tasse de thé religieuse, mais toujours bien informé) que le Cardinal Scola, en charge désormais de l’archidiocèse de Milan (le plus grand du monde) était sujet, de temps à autre, à des moments de déprime. Moi, je suis certain qu’en l’avouant, il gagne en crédibilité. Il touche au cœur ses ouailles, plus que ne le ferait n’importe quel texte dithyrambique vantant son action tous azimuts. Confesser, alors que vous êtes un homme d’église polyglotte, bardé de diplômes, à la tête d’un ensemble missionnaire de plusieurs millions d’habitants, qu’il vous arrive le dimanche soir d’avoir des instants de fatigue et de vous demander quel est le sens de votre vie, a quand même des accents touchants de nature, par leur vérité, à conférer une authentique stature à leur auteur.
Je pense, au contraire, que celles et ceux qui gonflent leurs pectoraux électoraux sur internet, perdent toute authenticité, aboutissant au résultat inverse de celui qu’ils recherchaient. Les voilà maintenant qu’ils attirent de l’antipathie et de la méfiance. Je sais bien qu’Obama, super produit du mensonge total d’internet, a réussi à bluffer tout le monde en se construisant une personnalité médiatique dont nous savons maintenant qu’elle n’existe pas. Sommes-nous pour autant appelés à vivre les uns et les autres dans le mensonge permanent ? Si je connais la réponse, je n’aimerais pas pour autant que ce commentaire un peu acerbe et rapide apparaisse comme une critique systématique de tous les élus présents sur Facebook.
Je suis moi-même coupable à plusieurs reprises des travers mentionnés. J’affectionne les interventions pour Bussy Saint-Georges et je les fais partager volontiers. Elles donnent à leur tour l’image de détermination et d’un courage dont je ne suis pas exempt, mais qui peuvent parfois me manquer. Je me plais à croire que ces quelques lignes (dommage que je n’utilise pas Twitter pour les abréger) laissent percevoir que je me pose des questions plus que je n’ai de certitudes. Ce petit billet pour ce blog était destiné à le dire à travers une réflexion un peu trop générale sur Facebook, et surtout peut-être à inciter plus d’un de mes collègues à user d’un peu d’humilité et à donner à penser qu’il y a bien une splendeur de la vérité et qu’elle advient le plus sûrement dans le dévoilement de soi-même, en entier et sans artifice.
Retrouvez cet article directement sur le blog d’Hugues Rondeau en cliquant ici