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Le linguiste et humaniste Alain Bentolila a fait une brillante intervention le 11 mai 2011 dans le cadre de l’Université Populaire du Mouvement Démocrate sur le thème « Démocratie et langue commune ».
Il nous démontre que TOUT part de la langue, du langage, de la manière dont il se construit lors de la petite enfance, quand les mots prennent forme et que l’enfant relie le sens aux sons, puis aux signes écrits.
La langue est ce qui construit notre pensée, notre conscience, notre rapport à l’autre. Celui qui ne la maîtrise pas, en tout cas pas suffisamment, se met en position d’exclusion sociale. C’est le principal problème des ghettos urbains, qui développent un langage simplifié, insuffisant pour exprimer une pensée complexe et même pour pouvoir expliquer ses actes, décrire un argumentaire. D’où la violence des banlieues. L’origine de cette violence provient souvent d’une incapacité à s’exprimer par les mots.
La formation du langage et l’apprentissage de la lecture, se font dans la petite enfance, étape primordiale à la construction d’un enfant. Tout se joue là. L’apprentissage d’une deuxième langue nécessite d’abord la maîtrise d’une première langue. Il ne suffit pas de déchiffrer des mots, des syllabes (être un « syllabant »), il faut appréhender le sens des mots pour devenir un « comprenant ». A l’entrée en maternelle, un enfant maîtrise normalement environ 2000 mots, mais un enfant issu de milieu défavorisé dont on s’est peu occupé, avec qui on a peu parlé, ne maîtrise que 600 mots et aura dès l’entrée à l’école un référentiel 3 fois moindre pour relier du sens aux sons, pour comprendre et relier les mots.
Beaucoup de problèmes de notre temps proviennent d’une incapacité à maîtriser la langue : éducation, violence, banlieues, et même la démocratie, la citoyenneté, la compréhension du discours politique.
J’ajouterai une autre cause majeure à la dégradation du niveau d’éducation des élèves, notamment de la grammaire et de l’orthographe : l’omniprésence de la télévision (plus de 3 heures par jour en moyenne dans les foyers français), qui prend le temps disponible au détriment de la lecture et qui incite à une attitude passive, contrairement à la lecture, qui fait appel à l’imaginaire, au questionnement, à une zone différente du cerveau (signes écrits vs. image visuelle).
Nous perdons aussi progressivement le sens des mots. C’est particulièrement vrai en politique, où il est facile d’employer des mots-valises, sans en préciser le contenu (« réformes », « valeur travail »,…) ou des mots qui ne veulent plus rien dire (« formidable », qui étymologiquement signifie « qui fait peur » !) ou qui décorent le discours officiel, l’humanisent (« démocratie », « républicain », « humaniste »,…), ou encore des oxymores (« droite sociale », « gauche moderne »). Même le nom des partis ont perdu leur sens : l’UMP n’est plus « populaire », le parti socialiste n’est plus « socialiste » (au sens initial de l’économie administrée par un Etat possédant les moyens de production), le parti radical n’est plus « radical » (initialement ce terme signifiait l’extrême, éloigné du centre, sur l’échiquier politique), le Nouveau Centre n’est pas au « centre » puisque rallié à la droite et même, selon les dire de Hervé Morin, une « deuxième droite » !
Comme François Bayrou aime souvent le rappeler par cette citation (semble-t-il apocryphe) d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Les nommer précisément, justement, exactement, n’ajouterait pas au malheur du monde. Les nommer en plus joliment, avec élégance, ce serait ajouter au bonheur du monde et pour le grand bien de tous !
Alain Bentolila est professeur à l’université Paris V-Descartes et auteur de Parle à ceux que tu n’aimes pas. Le défi de Babel (Odile Jacob)